Transformation en coopérative SCIC ! #3 Les réflexions d’un dirigeant

Transformation en coopérative SCIC ! #3 Les réflexions d’un dirigeant

Nous avons déjà abordé sur ce blog notre cheminement vers la décision de passage en SCIC, ainsi que les conséquences concrètes de cette décision. Un sujet difficile à vulgariser car truffé de subtilités.
Dans cet article, Matthieu Brunet, notre co-dirigeant à l’initiative de cette transformation, nous partage un peu plus de ses réflexions.

Et pourquoi pas une Scic ?

Si le statut coopératif est ancien, les SCIC n’ont été ajoutées dans la loi qu’en 2001 et c’est pour moi bien plus qu’une nouvelle déclinaison, car, là où tous les autres statuts coopératifs ont vocation à coordonner les intérêts d’une seule catégorie de sociétaires (les consommateurs, les salariés, les assurés, les agriculteurs…), les SCIC sont les seules à réunir plusieurs parties prenantes dans la gouvernance, pour se mettre ainsi au service de l’intérêt collectif.

Une entreprise de droit privé au service de l’intérêt collectif, c’est presque un oxymore, n’est-ce pas ? Et pourtant, prenez 5 minutes pour vous projeter dans un monde où toutes les entreprises seraient au service de l’intérêt collectif de leurs parties prenantes, et pas uniquement au service des actionnaires… Où l’agilité et la performance du secteur privé seraient dirigées uniquement vers l’amélioration des services rendus et non plus vers l’augmentation des dividendes… le monde ne s’en porterait-il pas mieux ?

Ce qu’il faut savoir :
– Une SCIC est une entreprise de droit privé. SARL, SA ou SAS , dirigée par un gérant, un président ou un directeur général. De ce point de vue, rien ne change ;
– La lucrativité est limitée. On peut distribuer des dividendes, mais pas plus de 43% du bénéfice, et pas plus de quelques pour cent de la valeur de la part. Tout le reste est mis en réserve impartageable. Les associés ne pourront jamais se le distribuer, ni faire de plus-value au moment de revendre leurs parts ;
– La répartition du pouvoir en AG entre les associés peut être pondérée par les statuts. Si on décide que l’intérêt collectif sera assuré par le fait que les droits de vote sont partagés à parts égales entre les salariés, les clients et les fournisseurs, ce sera toujours vrai, quel que soit le nombre de personnes dans chaque catégorie et la quantité d’argent investi par chacun.

S’il existe maintenant plusieurs milliers de SCIC en France, ce sont soit des entreprises qui ont été créées directement sous ce statut (comme Enercoop ou Windcoop), soit des associations ou des SCOP qui se sont transformées en SCIC. Mais à notre connaissance, une SA de notre taille qui se transforme en SCIC, ça n’a jamais été fait.

Nous allons proposer cette transformation lors d’une assemblée générale extraordinaire le 12 décembre prochain, et si tout va bien, ce sera effectif au 1er janvier 2026, en espérant qu’on sera contagieux !

Et pourquoi ne pas décider autrement ?

Parmi les raisons qui m’ont poussé à transformer Arcadie en Scic il y a l’envie de continuer à explorer de nouveaux chemins de gouvernance.

Comment ? Grâce aux “collèges de vote”.

C’est à ma connaissance un système unique aux Scic et qui permet de mettre en place des modalités démocratiques fondamentalement nouvelles, j’allais même dire, révolutionnaires !

Quelles différences avec les autres systèmes ?

Dans les entreprises classiques : une action égale une voix

C’est le système le plus courant (et le moins démocratique), que l’on retrouve dans toutes les entreprises classiques, où chaque votant a autant de voix qu’il a d’actions.
Dans cette vision du monde, il est normal que quelqu’un qui “risque” beaucoup d’argent reçoive en échange plus de pouvoir.
=> c’est le pouvoir de l’argent

Dans les coopératives : une personne égale une voix

Si c’est un système moins courant dans les entreprises, c’est celui auquel on est le plus habitués partout ailleurs. Que ce soit lors d’élections politiques, dans les associations ou même pour décider ce qu’on mange ce soir, nous n’imaginons pas d’autres systèmes que de donner à chacun·e une voix et une seule.
=> c’est le pouvoir de la majorité

Dans les Scic : les collèges de vote

Par défaut, les Scic héritent de la même règle “une personne = une voix”, mais ce système montre rapidement ses limites : imaginons une Scic avec 10 salariés, 20 fournisseurs et 100 clients, la voix des salariés serait complètement diluée !
Il est donc possible d’instituer une pondération par collège qui décrète que les salariés, les fournisseurs et les clients auront toujours chacun un tiers des voix, quel que soit leur nombre.
En gravant dans le marbre (et dans les statuts) ces pourcentages, on fige l’équilibre des pouvoirs entre parties prenantes, et on se libère complètement des tyrannies de l’argent et de la majorité.
=> c’est le pouvoir du projet

Pour Arcadie, nous allons inscrire dans les statuts la répartition suivante :
– Garants (personnes morales garantes des valeurs) : 50%
– Salariés : 12,5%
– Producteurs : 12,5%
– Clients : 12,5%
– Soutiens : 12,5%

Et pourquoi ne pas garder les bénéfices dans l’entreprise ?

Voici sans doute la raison principale pour laquelle j’ai souhaité transformer Arcadie en SCIC, ou, tout du moins, celle qui a déclenché ma réflexion : les réserves impartageables.

Une chose que j’ai mis de longues années à comprendre, c’est que, dans une entreprise classique, TOUS les bénéfices appartiennent aux actionnaires, même ceux qui n’ont pas été distribués et qui ont été mis en réserve.

Pourtant, on parle classiquement d’une répartition de ces bénéfices entre les actionnaires, les salariés et l’entreprise (en oubliant au passage toutes les autres parties prenantes). On mentionne souvent ces entreprises qui préfèrent réinvestir plutôt que de distribuer des dividendes. Et ça a été le cas d’Arcadie : depuis une vingtaine d’années que nous faisons des bénéfices, nous n’avons que très rarement distribué plus de 10% du résultat net.

➡️ Mais ce qui n’est pas distribué part en réserve, et ces réserves sont partageables, à tout moment.

Il suffit que des actionnaires réunissant 50% des voix votent une résolution à l’assemblée générale pour distribuer tout le report à nouveau accumulé depuis la création de l’entreprise.

Et même sans aller à cette extrémité, assez rare, je vous l’accorde, ces réserves augmentent les fonds propres, et donc la valeur de l’action. Et je ne parle pas là de valorisation de marché, juste de la valeur “comptable”, qui, je l’ai découvert, est la valeur minimum à laquelle l’action peut être rachetée. Le jour où un actionnaire sort, il repart obligatoirement avec sa part du report à nouveau accumulé depuis la création de l’entreprise.

Le report à nouveau et les réserves sont une dette, que l’entreprise accumule envers ses actionnaires. Elle ne pourra jamais disposer librement de cet argent. Elle ne s’appartiendra jamais elle-même. Elle restera toujours sous tutelle.

Seules les réserves impartageables permettent de sortir de cette situation.
Et seules les coopératives ont le droit de faire des réserves impartageables.

Comme leur nom l’indique, ces réserves ne sont pas partageables, mais surtout, cela signifie que la plus-value est interdite. Un sociétaire qui aura acheté une part sociale à un certain prix la revendra exactement au même prix 10 ans après.

Le résultat, c’est qu’année après année, si elle a la chance de faire des bénéfices, l’entreprise accumule des réserves qui lui appartiennent vraiment, et s’émancipe ainsi de la tutelle des actionnaires.

Pourquoi ne pas rendre le capital intransmissible ?

Vous le savez sans doute, dans une entreprise classique, les actions sont transmissibles par donation ou décès, sans que l’entreprise puisse s’y opposer.

À tout moment, l’un de vos actionnaires peut décider de transmettre ses parts à un de ses enfants, qui n’aura pas forcément la même relation à l’entreprise que lui. Et en cas de décès, ces parts peuvent être dispersées entre une multitude d’héritiers.

Deux choses peuvent se produire :
1) Ces nouveaux actionnaires souhaitent récupérer du cash, et ils vont vraisemblablement chercher la meilleure valorisation possible, ce qui vous conduira à :
soit devoir accepter un nouvel actionnaire qui aura des objectifs de rentabilité à la mesure du prix qu’il aura payé ces actions,
– soit devoir faire vous-même une contre-proposition.
2) Ces nouveaux actionnaires souhaitent rester, et vont constituer progressivement des générations de rentiers, sans autres liens avec l’entreprise que les dividendes versés chaque année.

➡️ Dans une coopérative, les parts sont intransmissibles. Ni par donation ni par décès.

Si un sociétaire décède, ses parts sont automatiquement remboursées à la valeur nominale. Si ses héritiers veulent devenir sociétaires, ils doivent passer comme tout le monde par le processus de validation des souscriptions par le CA et l’AG.

En coopérative, personne ne peut vous imposer de nouveaux associés.

Et pourquoi pas une rémunération fixe des fonds propres ?

Une des conséquences de la transformation d’Arcadie en Scic est la probable restructuration profonde de nos fonds propres. Mais ce qui peut sembler inquiétant au premier abord est à mon sens une opportunité supplémentaire.

Car, comme la distribution de dividendes est plafonnée et que la plus-value sur la revente des parts est interdite, comment convaincre des investisseurs ? Et pire que ça, avec l’augmentation considérable de la liquidité provoquée par les règles de capital variable, comment les convaincre de rester ?

1️⃣ La première réponse est bien sûr qu’il n’y a pas que l’argent dans la vie, et de nombreuses coopératives ont prouvé avant nous qu’il existait des investisseurs “à impact” prêts à accepter des rentabilités financières faibles ou nulles, moyennant que la rentabilité “sociétale” soit significative.

2️⃣ Mais la deuxième réponse s’appelle “titres participatifs”. Il s’agit d’un outil financier spécifique aux coopératives, qui se rapproche beaucoup des obligations non convertibles, mais avec quelques spécificités :
– Durée minimum de 7 ans ;
– Rémunération avec une composante fixe et une composante variable, sans plafond ;
– Remboursement à l’initiative de l’émetteur, mais avec une prime automatique au-delà de 7 ans.

Du fait de leur durée, ces “quasi fonds-propres” sont en fait considérés comme aussi sûrs que le capital par les banques, et pour les investisseurs, un rendement garanti de 4 à 7% est souvent plus attractif que des parts sociales.

Je m’attends donc à ce que, dans l’avenir, au fur et à mesure que certains sociétaires demanderont le remboursement de leurs parts et que nous les remplacerons par des nouveaux, ceux-ci choisissent certainement ce nouveau support pour tout ou partie de leur investissement.

❌ Aujourd’hui, j’ai donc majoritairement du capital qui semble ne pas me coûter grand-chose, du fait des faibles distributions de dividendes, mais qui peut à tout moment faire l’objet d’une demande de rachat avec une forte plus-value.

✅ Demain, j’aurai majoritairement des titres participatifs bloqués 7 ans, avec une rémunération fixe et des conditions de sortie prévues d’avance. Mes frais financiers vont augmenter, mais mon incertitude va considérablement baisser.

« Je suis convaincu que le statut SCIC est celui de l’avenir,
le seul qui permettra vraiment aux entreprises de se consacrer pleinement
à la transition écologique et sociale en les libérant de la tutelle actionnariale.”
Matthieu Brunet

Article écrit par : Matthieu Brunet

La marmite Arcadie, je suis tombé dedans quand j’étais petit ! Et je suis aujourd’hui très fier d’en assurer la direction avec ma femme, et continuer à faire d’Arcadie un endroit où on peut vraiment changer le monde !

portrait Matthieu Lorient